Avant dernier opus de la série A Rumbo Libre, en Bolivie cette fois-ci !
Du blanc. Du blanc à perte de vue, sur un horizon plat. Nous roulons vers l'Ouest. Des cristaux craquent sous le pied, ou sous la roue. Un soleil éclatant, dont la réverbération brûle les yeux, craquèle les lèvres. Et lorsqu'il se couche, faisant rosir cette immense étendue blanche, le soleil laisse place à un froid de loup qui s'infiltre dans la tente, jusque dans les duvets.
Les cyclos partagent tout
Depuis 5 minutes, j'ai un nouvel ami, un espagnol. Il prenait le bus pour La Paz puis Uyuni, je partais en vélo pour La Paz. Je suis maintenant, moi aussi, dans le bus. Il faut savoir saisir les opportunités lorsqu'elles se présentent. Il semble un peu effrayant ce Salar, des touristes y seraient morts de froid, perdus... On est en hiver et je n'ai pas GPS : vamos !
Les cyclos partagent tout, même la tente, surtout quand ça caille (une Irlandaise croisée à l'entrée du Salar a eu une nuit à -26°.…) Je connais MA depuis 24h et nous sommes désormais serrés comme des sardines dans sa tente "deux" places. Sur la route, MA s'excuse de ne pas me prendre en photo : sa femme pourrait etre "jalouse" :s. MA fait bien tout comme il veut, je traverse le Salar et je n'ai plus peur, pas le temps : je suis émerveillée.
Où l'on découvre que la terre est ronde…
Mais où sommes-nous ? Sur l'Altiplano bolivien. Et donc, cette immense étendue blanche ? De la neige ? De la glace ? Non... Du SEL ! 10 000 km2des paysages les plus extraordinaires et magiques à parcourir, qui plus est plus à vélo ! Rouler tout droit, ne pas voir le bout du chemin, qui n'existe pas, guetter les traces des 4x4 pour ne pas se perdre, les perdre, en prendre plein les bras et les fesses, puis retrouver une nouvelle piste et respirer. Les roues des 4x4 lissent le sol, car le sel se fond en de multiples textures : parfois on s'y enfonce, soit, mais souvent, il crée des pentagones, des hexagones, même des octogones.… et leurs délimitations forment de petites barrières de quelques cm. Lisse, la surface des polygones se jonche peu à peu de multiples petits monticules durs qui nous secouent, puis elle se retransforme. 70 km de pure ligne droite et je ne m'ennuie pas ! A l'horizon, s'élèvent peu à peu des montagnes et des "îles", tandis que celles qui étaient derrière nous disparaissent. Et l'on se rend réellement compte que la terre est ronde ! La saison des pluies, de janvier à mars, est également fabuleuse : le ciel se reflète dans l'eau étale donnant lieu à des photos irréelles de vélos volants, comme suspendus… Don't worry, I'll be back !
Sel et lithium
C'est assez étrange de rouler sur un élément qui finira dans une assiette… Après mon passage, des ouvriers viendront ramasser ce sel, ils en feront des petits tas pour que l'humidité s'évapore et puis, plus tard, quelqu'un en saupoudrera son cuy… Je m'en remplis un sachet, pour ma consommation personnelle. Nous roulons aussi sur la plus grande réserve du monde de lithium que la Bolivie protège jalousementde l'exploitation étrangère. Pas bête. Mais comme elle ne possède ni les moyens ni la technologie pour l'extraire elle-même, le lithium dort tranquillement (un peu comme leur économie, d'ailleurs). Dors, petit lithium, profites-en… !
Coucher de soleil sur une île, dans un désert
Si je vous parle d'une île dans le désert, comme moi, vous imaginez du sable, de l'eau et un nouveau bout de sable au milieu, n'est-ce pas ? Logique, quoi. Tout faux ! Il s'agit d'une formation rocheuse couverte de cactus, jaillissant au beau milieu de ce désert de sel. Arrivés en fin d'après-midi, le Salar nous y réserve son plus beau spectacle : une île silencieuse, que les hordes de 4x4 et leur touristes ont désertée, et un coucher de soleil… à couper le souffle. Un coucher de soleil aux teintes chaudes, rosées, orangées, dont les rayons rasants dessinent un halo de lumière autour de chaque épine des cactus qui se dressent entre lui et moi. C'en est trop, tout est beau, il faudrait que le soleil ralentisse sa course pour pouvoir admirer les multiples teintes changeantes, à 360°. Mais le soleil n'en a cure et il se couche, je ferai pareil à sa place. Les gardiens ramènent leurs lamas et nous rentrons dans notre… "hôtel" : une pièce avec des matelas, et surtout, avec vue sur le Salar.
Seule au sud
Au matin, mon compagnon fait chemin inverse. Je repars donc seule, armée de ma boussole : cap ausud. Je ne le sais pas encore mais je pars vers un coin où il n'y a rien ! Si, du sable… et des paysages magnifiques. Les "tiendas" sont espacés de 100 km ! Je pousse, je m'enfonce dans le sel, puis le sable... Il faut tester la "route" bolivienne. Mes yeux sont rivés au sol : je dois, à tout moment, choisir entre grosses pierres, sable et tôle ondulée. Je scrute le moindre indice de terrain dur : avec 35 kg de bagages, mieux vaut sautiller à 3 km/h sur de la tôle ondulée que de crever ou pire, de pousser, voire soulever, un vélo empêtré dans le sable. Au bout : le Sur Lipez, qui me fait rêver et m'inquiète. Froid, réellement désert, sans nourriture, sans abri, avec de très mauvaises routes (quand il y en a). En attendant, je rencontre des casernes. "Por favor, le prochain village (et donc la nourriture), il est à combien de km ?" Le légionnaire : "oh, 300 m… ". Je regarde le chemin se perdre dans les roches. ".… 3 km tu veux dire ?" Le légionnaire, placide : "oui". Les Boliviens et les distances, une longue histoire (D'où cette désormais célèbre maxime "Si tu ne sais pas, n'invente pas !").
Leçon d'hospitalité à l'hôtel de sel Samarikuna
Et me voici à la sortie du Salar, cherchant de la nourriture (le nerf de la guerre). L'hospitalité sud-américaine, je l'ai vécue, je vais vous la raconter. Villa Candelaria, village "fantôme". Nombre de tiendas : zéro. On m'indique l'hôtel Samarikuna, pas le choix. Je suis hors horaires de service, il n'y a rien de prêt, qu'est ce que je veux ? "Ce que vous êtes en train de manger !" Deux hamburgers de poulet et 2 euros après, séance de nettoyage de la Bici : le sel attaque. Mes hôtes sont intrigués, on papote et, de fil en aiguille, je suis invitée à monter ma tente dans la salle principale (les murs, le sol, tout est en sel !) puis à siroter un délicieux mate de coca. Je m'étonne de n'avoir encore jamais goûté la quinoa alors que nous sommes dans le pays de la quinoa : on me concocte un dîner spécial, quinoa et viande d'alpaca, l'un des meilleurs plats que j'ai goûtés ! Je finis par une douche chaude et un bon lit de sel… tout cela offert petit à petit, mine de rien, refusant toute contrepartie financière. Enfin si, je leur traduis la notice d'utilisation d'un cuiseur-vapeur dont le fonctionnement les effraie. Et me voici dans la cuisine, avec la femme de Willy et leur employée, essayant de comprendre l'engin formidable ! Le lendemain, je pars avec de la poudre de quinoa (pito) et du sucre, à diluer dans mon eau pour me donner de la force ! Une histoire d'hospitalité parmi tant d'autres.
Finalement, je bifurque au Chili avant le Sur Lipez. Et ses couleurs enchanteresses, ses lagunes, ses flamands roses ?? I'll be back, j'ai dit…
Clémence Rebours
"A Rumbo Libre en Amérique du Sud"